Témoignage du terrain : entretien avec Judith qui accompagne des femmes paysannes rwandaises pour une production écologique

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Judith MUHONGERWA (38 ans) travaille comme agronome depuis plusieurs années chez Adenya, (Association de développement de Nyaraguru notre partenaire au Rwanda). Elle est aussi personne de référence pour les questions de genre au sein de l’organisation et elle est membre du comité du district qui fait partie du conseil national de femmes.

Comme agronome, Judith donne des formations en agro-écologie, combinant des aspects théoriques et des exercices pratiques dans des fermes-écoles créées par Adenya. Elle est aussi mariée et a deux enfants, un garçon et une fille.

 « Le 8 mars nous fêtons la journée internationale de femmes. L’année passée, nous avons organisé des réunions dans les différents secteurs de travail d’Adenya et j’ai donné mon témoignage auprès des femmes paysannes. J’ai raconté que ma maman n’a jamais été à l’école, elle ne savait pas ni écrire ni lire. Et pour cette raison, elle se sentait diminuée. Elle a fort insisté pour que j’étudie et que je gagne ma vie. Et c’est ainsi que je suis devenue agronome !  C’est cela le contenu de mon témoignage, que, j’espère, pourra inspirer les jeunes filles. Moi, j’ai eu de la chance de pouvoir étudier, grâce à mes parents et aussi parce qu’après le génocide, le pays a fait des efforts pour éduquer tous les enfants, filles et garçons. Cela est devenu presqu’une politique pour préserver la paix, mais aussi pour donner une chance au pays de se développer. Pour moi, ce n’était pas facile d’étudier l’agronomie car pour ces études, il n’y a toujours pas beaucoup de filles, mais j’y suis arrivé», dit Judith avec un point de fierté.

« En tant qu’agronome, il y a 8 ans déjà que j’ai ma moto et que j’utilise des pantalons et des bottes pour aller former les paysannes et les paysans à la campagne. Il y a certains hommes –et même parfois, des femmes- qui s’étonnent que je fasse ça, car ce n’est pas l’habitude ici. Mais avec ce geste, je peux montrer aux femmes que nous pouvons faire beaucoup de choses qui, en général, ont été réservées aux hommes. Mon mari est très content que je puisse conduire la moto. Cela l’aide aussi car il sait que s’il faut conduire un enfant à l’hôpital, je peux le faire. Cela arrange à toute la famille ! »

« Traditionnellement, au Rwanda, les femmes restaient à l’écart. Elles s’occupaient uniquement de la maison : faire à manger, rester avec les enfants, nettoyer, …. Elles travaillent beaucoup, mais elles ne gagnent rien. Alors, il est très fréquent que leurs maris les maltraitent parce qu’elles sont trop dépendantes d’eux. Mais le gouvernement se rend bien compte qu’on ne pourra pas développer le pays si on ne fait pas participer les femmes à l’économie nationale. C’est pour cette raison qu’on fait des efforts pour que les femmes aient une activité économique.

Au Rwanda, il est important aussi que les femmes développent des activités agricoles, car les paysans ont des parcelles de terres très petites, de 10 ares. Car, comme les hommes ont plus d’études que les femmes, ils vont en ville travailler dans des métiers comme menuisier, ou autres, et les femmes restent en milieu rural. Alors, on sait qu’il faut les encourager afin qu’elles n’abandonnent pas la campagne car le pays a besoin de l’agriculture familiale pour nourrir sa population, surtout celle qui a moins de ressources. Chez Adenya, nous proposons des formations pour améliorer l’agriculture familiale pour qu’elle devienne écologique, sans pesticides. On facilite la production bon-marché et de qualité, des légumes et des fruits qui sont faciles à vendre dans les marchés locaux. Nous proposons également la tenue du petit élevage. Les femmes s’intègrent aussi dans des coopératives qui sont encouragées par le gouvernement, car, comme je l’ai signalé, les lopins de terres sont trop petits et, de ce fait, inviables s’ils ne sont exploités d’une manière semi-collective. Travailler en coopérative permet d’avoir accès à des espaces plus grands pour certaines cultures. Adenya accompagne les paysannes et paysans dans son intégration dans des coopératives, tout en proposant la production agro-écologique comme véritable alternative à la production avec des engrais chimiques. »

« Comme, au sein d’Adenya, je suis la responsable des formations en agro-écologie, je me suis préparée pour bien assumer cette tâche. Après mes études, j’ai suivi beaucoup de formations en techniques agro-écologiques. Dans mon expérience de terrain, les femmes acceptent très bien ces techniques car, même si elles ne sont pas (ou très peu) scolarisées, elles se rendent compte que c’est moins cher qu’acheter des produits chimiques pour améliorer la production. Elles se disent : pourquoi dépenser de l’argent pour les produits chimiques, si on peut produire très bien en utilisant des engrais naturels ? Quand les femmes arrivent à cette réflexion et prennent la décision d’une production plus saine, je sens que mon objectif est atteint ! »

« Autre aspect positif du travail avec des femmes c’est qu’elles s’intègrent bien dans les coopératives. Depuis des années, elles ont l’habitude de faire de tontines et de collaborer entre elles. Elles aiment bien travailler ensemble, elles se sentent plus fortes. Et les femmes se soutiennent dans leur volonté de se développer et de s’auto développer. »

« Chez Adenya nous disons, que la femme est la clé du développement : si la femme est pauvre, la famille sera pauvre. Mais si la femme va bien, la famille, la communauté, le pays iront bien. J’aime beaucoup sensibiliser les femmes et les filles à apprendre à gagner de l’argent en faisant une bonne agriculture et en ayant des petits bétails. Elles savent qu’elles peuvent avoir des activités intégrées, par exemple, améliorer la production agricole grâce aux déchets organiques produits par le petit bétail. J’apprends aux filles et aux femmes à conserver certains aliments, comme le chou, l’amarante, les carottes. Et, ensuite, je leur apprends aussi à vendre le surplus dans les marchés. Cela exige de prendre contact avec les autorités pour avoir les autorisations, etc. Ce sont toutes ces démarches que les femmes maitrisent après avoir suivi mes formations. Et cela, ça me rend heureuse !»