Brésil : la démocratie en danger ?

  Actualité

En chute libre dans les sondages, le président brésilien, Jair Bolsonaro voit d’un mauvais œil le retour en force de Luiz Inacio Lula da Silva, ex-président de gauche, donné vainqueur pour le prochain scrutin d’octobre 2022. Le ton putschiste de son discours lors de la Fête nationale du 7 septembre dernier venait contrebalancer son image fragilisée par les crises à répétition, sa gestion désastreuse de l’épidémie de covid 19, un chômage en hausse touchant plus de 14 millions de Brésiliens, une forte inflation et les enquêtes demandées à son encontre par la Cour suprême.

Une Fête nationale sous haute tension

« Seul Dieu peut me chasser du pouvoir » a-t-il promis sur un ton péremptoire à la foule amassée sur la célèbre Avenida Paulista de São Paulo lors de la Fête nationale. Il n’a pas manqué de réitérer ses critiques envers le Tribunal supérieur électoral et le mode de scrutin qu’il a qualifié de farce. Serait-ce une façon de paver d’ores et déjà le chemin vers une contestation des futures élections ? Car, selon les sondages actuels, Lula disposerait effectivement d’une avance confortable face à Bolsonaro.

Ce 7 septembre, la tension était palpable dans les rues et des rumeurs d’attaque des institutions par les partisans du président d’extrême-droite circulaient, à l’image de l’assaut du Capitole à Washington. Heureusement, il n’en a rien été. Des journalistes ont néanmoins été molestés à Brasilia.

Dans son discours véhément, Bolsonaro a fait appel à la mobilisation de ses supporters face à la menace de destitution qui plane sur lui. Un scénario que d’aucuns qualifient de « peu probable » en raison de la large coalition de droite et de centre-droit qui lui est toujours favorable au sein du Parlement. Il encourt néanmoins le risque d’être condamné pour inéligibilité par la Cour suprême qui l’accuse de disséminer de fausses informations sur le vote électronique en vigueur au Brésil depuis 1996, évoquant des fraudes sans jamais y apporter de preuve. Un véritable bras de fer s’est engagé en particulier entre Bolsonaro et l’un des juges du Tribunal suprême fédéral, Alexandre de Moraes, déchaînant les menaces du président brésilien : « Si le chef de ce pouvoir ne le remet pas à sa place, ce pouvoir subira les conséquences dont personne ne veut »[1].

Inquiets face aux atteintes à la démocratie et ulcérés par ces trois années de crises sanitaire, politique et économique, ses opposants sont également descendus dans la rue ce 7 septembre. Ils n’avaient cependant pas attendu la Fête nationale pour se mobiliser. Regroupés dans une campagne baptisée « Fora Bolsonaro » (« Dehors Bolsonaro »), 400 organisations nationales, syndicats et partis politiques battent le pavé depuis le mois de mai pour faire entendre leurs voix. Lors de la Fête nationale, ils ont rejoint les manifestants du « Grito dos Excluídos y das Excluídas »[2] qui défilent traditionnellement depuis 27 ans à cette occasion pour dénoncer les problèmes sociaux au Brésil. Ensemble, ils ont étendu la mobilisation à environ 200 villes. « Cette journée est un jour d’échec pour Bolsonaro, affirme Kelli Mafort, membre de la Coordination du Mouvement des Sans Terre, partenaire historique de Frères des Hommes. Et c’est pour cette raison qu’il élève le ton dans ses discours.»[3] En évoquant la contestation qui s’étend au sein de la société brésilienne, João Pedro Stedile, économiste et dirigeant du Mouvement des Sans Terre, quant à lui, affirme : « La classe moyenne brésilienne critique Bolsonaro et elle fait l’opinion. C’est une composante importante. »[4] Une majorité de Brésiliens aimeraient effectivement le voir destitué, même si plus d’une centaine de demandes de destitution sont restées lettre morte, le président de la Chambre n’y ayant pas donné suite.

Parmi les questions qui fâchent…

L’un des arguments de ses opposants concerne la gestion de l’épidémie de covid 19. Il est vrai qu’avec plus de 580.000 morts, le Brésil détient une triste deuxième place parmi la liste des pays les plus endeuillés par la pandémie de covid 19, juste derrière le Pérou et devant les USA. Une Commission d’enquête au Sénat a qualifié sa gestion d’irresponsable : retard dans l’achat de vaccins, refus de développer davantage de moyens pour pallier le manque d’oxygène dans les hôpitaux de Manaus… En tout, 4 ministres de la Santé se sont succédé depuis le début de la crise, entre limogeages et démission.

Autre sujet qui fâche et inquiète par ailleurs l’ensemble de la planète : la forêt amazonienne. Lors du sommet sur le climat en avril 2021, le président brésilien s’était engagé à réduire la déforestation. Or, depuis son arrivée au pouvoir, jamais la forêt d’Amazonie n’a été autant décimée. Selon Greenpeace[5], l’INPE (Institut brésilien de recherche spatiale) aurait fait état de la destruction de 8.712 km² du côté brésilien entre le 1er août 2020 et le 31 juillet 2021. Et Bolsonaro, loin de s’attaquer à la déforestation illégale comme il l’avait pourtant promis en avril, prépare une série de projets de lois qui pourraient encore accélérer ce processus tout en portant atteinte aux droits des peuples autochtones.  Déjà en janvier 2021, Raoni Matuktire, chef du peuple kayopo et figure emblématique de la lutte pour la préservation de l’Amazonie, avait déposé une plainte auprès de la Cour pénale internationale, accusant le chef de l’Etat de massacrer et mettre en esclavage les peuples autochtones en portant atteinte à leur habitat et bafouant leurs droits.

Depuis l’investiture de Jair Bolsonaro en 2019, polémiques et scandales se sont multipliés, souvent dans un fracas médiatique, tant dans la presse brésilienne qu’internationale. Le ton menaçant employé par le président et les rumeurs de coups d’Etat lors de la Fête nationale traduisent-ils un danger réel pour la démocratie du plus grand pays d’Amérique latine ? Sur le chemin menant aux élections de 2022, il y a fort à parier que les tensions risquent de s’exacerber au fil des prochains mois. L’accélération de la nomination de militaires, remplaçant des civils à plusieurs postes, a de quoi susciter de sombres interrogations.  Déjà en septembre 2020, Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme s’était inquiétée de cette « militarisation de l’administration publique »[6]. Au Brésil, la page des dictatures militaires avait été tournée en 1985. Il reste à espérer que la démocratie brésilienne résistera à la rude mise à l’épreuve actuelle.

Milena Merlino, Frères des Hommes


[1] « Manifestations au Brésil : Bolsonaro, s’inspirant du « modèle Trump » attaque les institutions et les élections, La Libre, 7/9/21

[2] « Cri des Exclus et des Exclues »

[3] https://www.brasildefato.com.br/2021/09/07/o-7-setembro-foi-um-dia-de-fracasso-para-jair-bolsonaro-diz-kelli-mafort-da-coordenacao-do-mst

[4] https://mst.org.br/2021/09/06/bolsonaro-ja-perdeu-as-ruas-afirma-stedile/

[5] https://www.greenpeace.fr/espace-presse/amazonie-nouveaux-chiffres-alarmants-de-la-deforestation/

[6] https://observatoiredemocratiebresil.org/Les-militaires-occupent-l-Etat